Cinéma

ADN de Maïwenn : quand l’obsession devient brouillon

8 juin 2021

Il y a des films qui nous laissent un souvenir impérissable. Certains jours quand le grand écran s’éteint et que la salle se rallume, on aimerait pouvoir rembobiner les derniers instants et revenir à avant la séance, pour revivre l’émotion ressentie, la découverte, la surprise.

D’autres jours, au contraire, on sort de la séance en étant déçu. Peut être même un peu contrarié. Comme si la promesse tacite entre le spectateur et le réalisateur n’avait pas été tenue.

C’est exactement ce que j’ai ressenti à la fin de la projection du dernier film de Maïwenn.

ADN (réalisé par Maïwenn et scénarisé par Maïwenn et Mathieu Demy – 2020 – 90 mins)

ADN a tout pour être un grand film devant lequel on pleure, qui gagne des prix, et qui nous laisse des souvenirs impérissables.

Rien que son synopsis nous invite à se plonger activement dans le film : Suite au décès de son grand-père, qui était la figure paternelle de la famille, Neige (Maïwenn) s’engouffre de manière quasiment obsessionnelle dans une quête personnelle de ses racines algériennes et de son héritage culturel.

En préambule, je vous dois d’être honnête. Je suis souvent imperméable et très critique vis à vis des films de Maïwenn. En réalité, je considère qu’elle choisit toujours des thèmes extrêmement forts, est toujours entourée d’acteurs exceptionnels et a toujours droit à un écho médiatique important. Chacun de ses films devrait alors être un chef d’œuvre. Malheureusement, je ne suis pas pleinement réceptive de sa manière de filmer et surtout j’ai continuellement l’impression qu’il manque quelque chose, que l’histoire ne va pas jusqu’au bout. Je reste systématiquement sur ma faim. Il manque le petit truc qui me fasse me dire – ce film est un chef d’œuvre.

Devant ADN, mon ressenti a une fois de plus été celui-ci.

Pour commencer, la réalisatrice dresse ici le tableau d’une famille dysfonctionnelle en mettant en lumière la relation chaotique voire toxique entre Neige et sa famille, qui se détestent autant qu’ils s’aiment. Si un tel déchirement peut s’envisager, j’aurais apprécié avoir des explications plus profondes quant à la raison de ce dysfonctionnement, de cette violence entre les personnages. Au cours de l’histoire, Neige en arrive à dire à sa mère (Fanny Ardant) qu’elle ne supporte pas quand elle la touche, qu’elle n’aime pas son odeur. Ce type de parole n’est pas anodin, et ne peut pas être le seul fruit de différences de caractères et d’un manque de communication.

Alors, on imagine, sans les comprendre, les raisons de la discorde. Même si en tant que spectatrice j’aime ne pas être systématiquement guidée, j’ai ici manqué d’une grille de lecture des personnages pour développer une réelle empathie. Au contraire, Neige m’a insupportée du début à la fin. Et je pense que cela a participé à m’éloigner du film.

D’autant que ce film cherche à s’emparer d’un thème extrêmement fort, à savoir les racines, l’héritage culturel. Tout ce qui fait que nous sommes. C’est alors une histoire qui bien que personnelle devrait pouvoir avoir une résonance universelle en chacun de nous.

Cependant, ici encore, je reste avec plein d’interrogations.

On comprendra aisément que, suite au décès de son grand-père, Neige puisse être bouleversée, perdue, à la recherche de l’héritage culturel qui était jusqu’alors personnifié par ce patriarche. Cependant, il est plus difficile de comprendre l’obsession maladive qu’elle va développer et les différentes extrémités jusqu’auxquelles elle va aller sans explication tangible.

Le lien entre la perte et la résolution du film se fait très difficilement, si ce n’est pas du tout, et aurait même tendance à tomber comme un cheveux sur la soupe. J’ai trouvé qu’il y avait un véritable déséquilibre dans la structure du récit. Certains personnages auraient mérité d’être davantage creusés, certaines histoires mieux expliquées. On peut souhaiter laisser une part de mystère qui sera comblée par le spectateur. Néanmoins, ce n’est pas à lui d’imaginer les liens qui font les fondements de l’histoire racontée.

Enfin, je suis encore et toujours gênée par la présence de Maïwenn de l’autre côté de la caméra. Certes ici, il s’agissait d’un rôle personnel, avec une ambition autobiographique (bien qu’elle le rejette en interview), néanmoins, son absence de jeu véritable, et la faiblesse des dialogues de manière générale n’aident en rien à l’appréciation de ce film.

Malgré tout, et même si j’ai le sentiment de ne pas avoir réussi à venir à la rencontre de ADN, je tiens à mettre en avant trois choses que j’ai trouvé formidables.

Un casting exceptionnel

On retrouve notamment dans ce film, une Fanny Ardent qui joue une mère, aussi maladivement à fleur de peau que sa fille et qui semble être sur le point de craquer à tout moment, sans qu’on sache jusqu’où cela pourrait aller.

La présence rayonnante et drôle de Louis Garrel (<3) dans le rôle de l’ami-confident de Neige qui est le seul personnage qui se permette de la recadrer quand il le faut et qui, par l’intermédiaire de blagues plus ou moins sombres et/ou de qualité mette un peu de légèreté dans le film.

L’ensemble du casting est à féliciter et la qualité du jeu m’a permise de maintenir mon attention jusqu’à la fin du film.

Un sujet fort et fédérateur

Le sujet traité par ADN est extrêmement fort. Ces questions d’héritage culturel et leurs retombées sur la vie de chacun.

Dans le film on voit d’ailleurs très bien que tous les membres de la famille de Neige ne réagissent pas de la même manière s’agissant de cet héritage culturel.

Sans le rejeter, certain n’en font pas une caractéristique de leur personnalité, mais plus un élément accessoire.

Il en est de même s’agissant de l’appréhension de la mort et du décès d’un être cher. Si l’une demande à ce que la chanson « Parler à mon père » de Céline Dion passe au moment de la cérémonie, Neige, elle, récupérera le pyjama de son grand père afin de s’endormir dedans.

Comme à son habitude, Maïwenn met en avant l’importance des émotions, toutes les émotions, et n’en interdit aucune, de la plus raisonnée à la plus passionnée voire excessive.

S’agissant de l’Algérie, enfin, il faut louer la volonté de mettre en lumière et en question, tout ce pans de l’Histoire qu’on a tendance à vouloir gommer comme s’il n’existait pas. Il est nécessaire que le cinéma se penche davantage sur ces histoires qui ont fait l’Histoire et qui ont aujourd’hui encore des répercutions individuelles et universelles.

Une scène de fin mémorable

A la fin de ce film, j’étais contrariée. Mais la scène de fin m’a presque fait oublier toutes mes interrogations (j’ai bien dit presque), tant elle est belle, rayonnante et bercée par le texte et la voix magnifique d’Idir.  Oui je le dis, malgré son côté quelque peu fantasmagorique, elle m’a PRESQUE réconciliée avec ce film.

Lettre à ma fille – Idir – 2007

Chaque semaine, nous allons au cinéma avec une certaine attente. Peut être est-ce injuste. Nous ne sommes pas parfaitement partiaux dans un tel cas. Mon attente face à ADN était de voir un film puissant qui me ferait sans doute pleurer.

Ici, comme je l’ai écrit, pour moi le contrat n’a pas été rempli. Je sors de la salle avec beaucoup trop de questions sans réponse. Des réponses qui me sont nécessaires dans l’appréhension de ce film. Je suis contrariée, déçue.

Plusieurs jours après l’avoir vu j’y pense encore. Je m’interroge. Et puis. Après tout. N’est ce pas la seule chose qu’on demande à un film, qu’il ne nous laisse pas indifférent ?

  • Reply
    Joyce
    21 juin 2021 at 13 h 33 min

    Heureusement qu’il y a des films auxquels on n’accroche pas, et c’est vrai qu’il en est d’autres où l’on entend des critiques favorables de la presse et des médias et pour lesquels on peut réellement s’interroger : est-ce une sorte de lobbying, ou est-ce moi qui ait un problème de perception ? Pourquoi ce film est-il sélectionné au festival de Cannes ? Probablement qu’il faut une large palette de contenus divers et variés pour représenter les goûts de chacun… dira-t-on 🙂

    • Reply
      Du Sable Sous Le Bitume
      21 juin 2021 at 21 h 14 min

      Merci pour ton commentaire. Je pense que tu as raison. Il faut de tout pour satisfaire le plus grand nombre. Je dois reconnaitre que les films primés à Cannes me touchent très rarement en général. Il est rare que je partage leurs coups de cœur. Mais ces films doivent en toucher profondément certains. Comme ADN qui a su émouvoir un grand nombre de personnes….mais pas moi. 🙂

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