« La vie n’est pas une comédie musicale »
Philippe Labro – Manuella 2001
Je crois que parmi tous les genres cinématographiques, celui qui me touche le plus est la comédie musicale. Je me moque qu’il puisse être considéré comme léger, superficiel ou encore comme un art secondaire. Je rejette même ces qualificatifs. Après tout, les grecs, dans l’Antiquité, mettaient sur le plan des arts majeurs, la médecine, mais aussi la poésie et la danse.
Chacun d’entre nous connaît une chanson qui nous fait pleurer de manière déraisonnée. Pourquoi la mise en image de celle-ci devrait amoindrir cette émotion. Au contraire, il me semble que la mise en image permet de démultiplier nos sentiments, qu’ils soient positifs ou négatifs. Il suffit de regarder les scènes dans lesquels Barbra Streisand chante « Papa do you hear me » dans Yentl pour le comprendre.
Très souvent je me plais à rêver que je suis une artiste de music hall, qui danse aux côtés de Fred Astaire et Gene Kelly et chante avec Julie Andrews.
Si vous réfléchissez bien, est-ce-que ce ne serait pas magique que tous nos échanges soient sans cesse fait de chansons et de danses. Danser sous la pluie, sauter de capot en capot pendant des embouteillages, ou encore déclamer sa flamme dans une chambre en forme d’éléphant. Le rêve je vous dis.
Il suffit que les premières notes de musique se fassent entendre pour que je m’envole vers un autre monde. Et détrompez-vous. Qui dit comédie musicale ne dit pas forcément guimauve et happy ending.
Le dernier film de Leos Carax en est le parfait exemple.
ANNETTE (réalisé par Leos Carax – 2021 – 139 mins)
Dans ce film, on suit l’histoire d’amour presque improbable tant leurs deux mondes sont opposés, de Henry (Adam Driver) comédien de standup à l’humour très acéré et de Ann (Marion Cotillard) une magnifique cantatrice de renommée internationale. Si ce couple semble partager un amour parfait dans les magasines, on comprend petit à petit que les choses sont bien plus complexes, et que sous les lumières des tapis rouges se cachent une froide noirceur. Ces failles vont définitivement apparaître lors de la naissance de leur enfant, Annette, qui est loin d’être une petite fille ordinaire et qui tient un rôle déterminant dans ce récit.
D’une certaine façon, ANNETTE raconte l’histoire de la rencontre entre La belle et la bête. Mais attention, ce film n’est pas une comédie romantique, et encore moins le reflet d’une grande histoire d’amour passionnelle, bien au contraire. Ce n’est rien divulguer que de dire çà. Il ne faut pas oublier qui est le réalisateur de ce film, et qui en sont les principaux acteurs. On est loin de Lalaland dans l’esprit.
La chanson « We love each other so much » (« Nous nous aimons si fort« ) est d’ailleurs un des exemples parfaits de cet amour impassible. En effet, tout au long du film cette chanson est froidement scandée par les deux personnages principaux sans que la moindre émotion ne transparaisse entre eux. Il est un fort contraste entre le caractère fort et passionnel de ces paroles et l’attitude de ceux qui les chantent sans même se regarder.
Je pense que j’ai tout aimé dans ce film. Le soin tout particulier qui est donné à la photographie et à l’esthétique de l’image. La qualité des musiques qui accompagnent l’histoire. Le côté non linéaire de la narration. La poésie obscure des dialogues qui se répondent tout au long du film. La force du non dit entre les personnages. Le rôle qui est donné à l’obscurité. Et bien sûr, il faut souligner le talent exceptionnel des acteurs qui l’incarnent.
Dès les premières notes de musique, j’ai été happée par ANNETTE. « So, may we start ? » (« Alors on commence ?« ).
Cette scène d’ouverture est magnifique, et nous place déjà dans la fantasmagorie du film. Elle nous montre des artistes qui agissent de manière automatique, tels des pantins. Qui ne se regardent pas ou presque. Et qui, simplement, jouent leur rôle.
Tout au long du film on est comme coupé du monde, en tête à tête avec les personnages et en empathie vis à vis de ce qui leur arrive.
Je pense que ce récit est d’autant plus impactant qu’il met en lumière un comportement masculin qui fait malheureusement écho aux différents scandales bien heureusement mis en lumière ces dernières années notamment avec le mouvement #metoo. La chanteuse Angèle apparaît d’ailleurs en guest dans une scène qui est un clin d’œil appuyé à ce mouvement.
Ce film est sombre, poétique et exigeant. Je dois même reconnaître que j’ai laissé échapper une larme à la fin.
Il est de ceux qui ne se racontent pas, mais qui se vivent.
A la sortie de la projection d’ANNETTE, je ne me sentais pas légère. Je n’avais pas non plus envie de danser comme à la fin d’une comédie musicale plus classique. Mais je suis ressortie avec des étoiles dans les yeux tant ce film est beau. Et une envie folle de dire, en écho à la scène d’ouverture, « So, may we RE start ? ».
Courrez voir ANNETTE. C’est un grand film de cinéma.
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