Cinéma

DESIGNE COUPABLE : Un récit nécessaire

1 août 2021

Il est minuit vingt quand je sors de la salle. Je suis aussi bouleversée qu’en colère.

Il est des films qui n’ont pas pour objet de vous divertir. Ils agissent sur vous comme un électrochoc : reste éveillé(e), ne cesse jamais de t’informer, rappelle toi de toujours rester vigilent(e) face à ce qu’on te présente comme étant LA vérité, nous ne sommes pas dans un monde JUSTE.

Ce film fait exactement parti de ceux là.

Alors même que j’avais repéré sa sortie, j’ai précipité mon visionnage suite au conseil d’une amie. « Il faut que tu vois ce film ». Et elle avait plus que raison.

DESIGNE COUPABLE (réalisé par Kevin Macdonald – 2021 – 129 mins)

DESIGNE COUPABLE relate l’histoire vraie d’un homme, Mohamedou Ould Slahi, mauritanien, qui, suite aux attentats du 11 septembre 2001, est accusé d’y avoir participé activement et est livré par son pays aux Etats-Unis. Il va alors passer 14 années dans la prison de Guantanamo, sans avoir été jugé.

Ce film montre parfaitement la paranoïa terroriste qui se développe aux Etats-Unis (et dans le reste du monde) à ce moment là.

Des acteurs principaux formidables

Ici, le rôle de Mohamedou est campé par le talentueux Tahar Rahim (nominé à de nombreuses reprises pour ce rôle). Il disparait physiquement sous les traits de celui qu’il incarne. Tout au long du film, il nous montre un homme qui, alors qu’il a été soumis à la torture et à tous les châtiments les plus dégradants, reste résilient et fait le choix de garder l’espoir d’un jour revoir la mer, en homme libre.

Jodie Foster dans le rôle de l’avocate pénaliste, spécialisée dans les affaires mettant en accusation le gouvernement, Nancy Hollander est merveilleuse. Elle incarne ici peut être l’un de ses rôles les plus forts. Cette prestation lui a d’ailleurs valu un ARRP et un Golden Globes dans la catégorie « meilleure actrice dans un second rôle ». Tout au long de sa performance, elle dépeint un personnage qui met la notion de justice et d’Etat de droit au dessus de toute considération. Peu importe, tout au long du récit, qu’elle ait pu croire son client coupable des actes dont il était accusé. Ce n’est pas le sujet.

Shailene Woodley qui interprète Teri Duncan, jeune collaboratrice de Nancy Hollander et qui parsème le récit d’un peu de naïveté, comme un souffle nécessaire.

Benedict Cumbertatch, quand à lui, campe le Lieutenant Stuart Couch, qui est désigné pour représenter l’accusation devant la Cour. Il met ici de côté son accent british pour camper un Yankee plus vrai que nature, poussé, au départ, comme son institution, par une soif de vengeance, qu’il finira par mettre de côté au fur et à mesure de la lecture des informations qui arriveront jusqu’à lui.

L’anti manichéisme

Je dois reconnaître qu’à l’annonce de sa sortie, outre l’histoire forte de son protagoniste, je craignais voir un film sous le prisme du regard des « gentils américains ». Ce n’est absolument pas le cas ici.

J’ai trouvé que le récit était particulièrement bien présenté, de manière extrêmement factuelle, sans fioriture inutile, ni explication fictionnelle.

Un exemple parfait est la représentation des scènes de torture. Bien sur, il s’agit d’un passage particulièrement dur et fort. Mais elles ne sont pas stylisées, elles sont dynamiques, sur un montage très serré et asphyxiant. Je dois reconnaître avoir été en apnée tout au long de ce passage. Mais ces scènes n’ont pas pour but de bêtement choquer le spectateur. Et c’est quelque chose que j’ai beaucoup apprécié. On nous montre juste ce qu’il faut pour nous révolter. Il y a des choses qui n’ont pas besoin d’être romancées. Nous devons pouvoir regarder la réalité en face.

Ce choix est évidemment en lien avec la carrière du réalisateur Kevin Macdonald qui est principalement connu pour ses nombreux documentaires. Par sa narration, il va mettre en lumière la folie de l’administration américaine sous Bush dans laquelle la lutte contre le terrorisme devrait excuser toute absence de justice. Au point d’aller jusqu’au plus grand des cynismes en créant une boutique souvenirs à Guantanamo grâce à laquelle chaque visiteur peut repartir avec un mug ou un t-shirt floqué au nom de la prison…

Un film qui ne nous laisse pas indifférent

Je pense ne pas me tromper en disant que toute personne normalement constituée a été éprouvée par la dernière scène dans laquelle Tahar Rahim apparait. Je ne vais bien entendu pas en dire davantage, mais cette scène est restée dans ma mémoire plusieurs heures après que je l’ai vue, comme suspendue.

Ce film est dur, sérieux, et pourrait facilement nous dégouter de l’être humain et de ses dérives.

Dans la logique documentaire de ce film, les dernières scènes nous apportent des informations sur la suite du récit, la réalité de ce qu’était la situation judiciaire de Guantanamo, mais aussi nous rencontrons les vraies personnes derrière ces personnages.

Ces révélations finales ne font que soulever la colère en moi, me rappelant que ce film est l’écho d’une histoire vraie.

Pour moi c’est le récit d’une vie. Celui d’un homme qui, parce qu’il remplissait toutes les cases que l’on cherchait à lui faire remplir va vivre l’enfer.  Ce film rappelle combien il est important de se rappeler les fondamentaux d’un Etat de droit et de liberté. La Constitution, les libertés fondamentales, ne sont pas que des beaux textes anciens, ni même des phrases que l’on ressort dans le cadre de discours.

Ce film nous invite à rester éveillé, à se révolter et à ne jamais accepter les dérives. Ce n’est pas le récit du procès d’un homme (il n’y a pas eu de procès), c’est le procès de notre société et d’un système politique qui évolue en toute impunité. Cette histoire se passe aux Etats-Unis, mais elle pourrait être transposée dans tous nos pays occidentaux, soit disant défenseurs des droits de l’Homme.

Dans la société dans laquelle nous vivons, quand certains mettent en avant l’existence de prétendues privations de libertés « dictatoriales », il est bon de se rappeler ce que signifient ces mots et combien il est essentiel de toujours combattre ceux qui voudraient, pour des raisons politiques et populistes les mettre à mal.

Aujourd’hui, Mohamedou Ould Slahi est un homme libre (ou presque), il a sorti ses mémoires (Guantanamo Diary – 2015),  qui ont été écrit en anglais, après avoir appris cette langue en prison, comme un moyen de défense vis à vis de ses geôliers. DESIGNE COUPABLE est tiré de ces mémoires.

Dans la première scène de rencontre entre ses avocates et lui, Mohamadou dit avec humour : « Vous me demandez de vous écrire tout ce que j’ai dit à mes interrogateurs. Vous avez perdu la tête ! Comment puis-je rendre un interrogatoire ininterrompu qui dure depuis 7 ans ? C’est comme demander à Charlie Sheen combien de femmes il a fréquentées. »

C’est aussi ça ce film, et plus précisément ce qui ressort des écrits de Mohamadou. Même quand la déshumanisation la plus crasse est présente, il réside des rapports humains sur lesquels il est indispensable de se focaliser, pour continuer d’avancer.

Il faut absolument que vous voyiez ce film. Ce n’est pas pour une raison esthétique, cinématographique, ou autre. C’est un film politique, citoyen et nécessaire.

VOUS AVEZ ENCORE QUELQUES MINUTES?

Un Benedict Cumberbatch peut en cacher un autre

Il y a quelques semaines, je suis allée voir UN ESPION ORDINAIRE (réalisé par Dominic Cooke – 2020 – 111 mins). Ce film s’inspire de faits réels. Dans les années 1960, en pleine guerre froide, un homme d’affaire britannique, Greville WYNNE (Benedict Cumberbatch) est recruté par le Secret Intelligence Service pour transmettre des messages au Colonel soviétique Oleg Penvoksy (Merab Ninidze). Une histoire d’amitié profonde et de confiance va se développer entre ces deux hommes qui vont lutter ensemble afin d’éviter un affrontement nucléaire et permettre de désamorcer la crise des missiles de Cuba.

Dans l’ensemble, je dirai qu’il s’agit d’un bon film, qui relate une histoire dont je n’avais pas connaissance et qui est portée par de formidables acteurs. Benedict Cumberbatch y est particulièrement magistral allant jusqu’à changer physiquement et perdre beaucoup de poids pour coller au besoins scénaristiques.

Cependant, je dois humblement reconnaître que je me suis…endormie. Une dizaine de minute au milieu du film. Et c’est là que je vais vous présenter mes deux points négatifs :

Tout d’abord, j’ai trouvé que le récit manquait de rythme et que le montage n’était pas équilibré. Alors que la deuxième partie répond davantage aux codes des films d’espionnage, la première est, selon moi, trop narrative et m’a complétement perdue. Je pense que le film souffre d’au moins 30 minutes de trop.

Ensuite, nous sommes face au récit des héros de l’EST qui, Ô grands dieux, ont trouvé le seul soviétique qui a compris que l’URSS était mauvaise. Ce côté beaucoup trop manichéen et à aucun moment nuancé a créé une distance certaine entre le récit et moi.

Bref. C’est un bon film, divertissant, mais rien de révolutionnaire.

  • Reply
    Manon
    1 août 2021 at 13 h 44 min

    Comme toi, après avoir vu le film j’étais bouleversée, choquée, attristée mais heureuse d’avoir vu ce film et d’avoir découvert l’histoire de cet homme si sage malgré les épreuves qu’il a vécu. Merci pour ton article que j’avais hâte de lire et qui reflète si bien ce que l’on ressent en visionnant ce film!

    • Reply
      Du Sable Sous Le Bitume
      1 août 2021 at 14 h 52 min

      Merci pour ton message et pour m’avoir incitée à y aller. Une claque.

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